Mais sa volonté n’était pas suivie d’effet : elle ne bougeait pas. Elle n’aurait pu ni répondre à l’appel ni se sauver comme sa raison l’en aurait incitée. Elle sentait ce regard, cette pression légère mais sensible sur son dos, ses reins, son sexe de femme, comme un souffle sensuel auquel tout son être répondait. L’étoffe de ses dessous appuyait sur sa peau en émoi. Viens. Elle espérait les mains de l’homme sur son corps avide, elle brûlait de poser ses lèvres sur ce qu’elle contemplait bien malgré elle, avec envie. Elle ne s’appartenait plus.
Il fallut bien pourtant qu’elle s’arrache à cette fascination pour voir, en tournant le buste et la tête, aussi lentement que la prudence l’imposait, qui, derrière elle, se faisait l’observateur de ses indiscrétions. Elle ne vit que les immenses miroirs couvrant les murs altiers. Puis, elle découvrit son reflet avec, si proche, le visage de l’homme, son regard sur elle. Intense. La toile qu’il contemplait, c’était elle. Jeu de miroirs. Points de vue. Ils se regardèrent ainsi jusqu’à ce qu’ils sortent de leur contemplation détournée pour se faire face. Il s’était levé et son visage souriait. Viens, lui dit-il. Sa voix était vibrante. Et il tendit une main qu’elle chercha à atteindre. Viens. Sa peau était chaude et douce malgré une force et une fermeté qui transparaissait dans chaque pulsation. Il lui sourit encore. Sa bouche entrouverte vint goûter la sienne comme on déguste un fruit. Ils avaient faim et soif, elle ne le savait pas, ils le découvraient ensemble. Se fut un désordre délicieux, au milieu duquel, pâmés, ils s’endormirent dans les bras l’un de l’autre bien après qu’elle lui ait murmuré au creux de l’oreille : viens. Je t’aime, lui avait-il répété
« Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur. D’aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir. Au pays qui te ressemble ! »
- « Elle revient à elle ».
- « Oui, vous avez raison Auguste, elle reprend des couleurs ! ».
- « Ca va, mon petit ?! »
Elle était adossée contre le mur de la propriété et le soleil précoce réchauffait sa mémoire. - Oui, oui, ça va aller, je crois... Je vous remercie. Elle se redressa. Deux bons vieux visages burinés, aux yeux limpides lui souriaient avec bienveillance et bonhommie. - Vous avez dû faire un malaise ma petite dame. Oui, monsieur, je, je suppose. Elle jeta un coup d’œil à la grille fermée de trois tours d’une chaîne rouillée. - Qui habite dans cette maison, le savez-vous ? Demanda-telle d’une voix faible. Ici, répondit le vieillard souriant, non sans surprise, il n’y a plus personne depuis belle lurette. - Ah ? Hasarda-t-elle, en êtes-vous sûr ? - Tout ce qu’il y a de plus sûr. Pas vrai, ma mie ? Sa tendre épouse, une bonne dame au sourire rêveur dodelina de la tête. - Le petit, il était parti à la guerre et il n’est jamais revenu. J’étais une enfant encore, j’escaladais parfois la grille pour aller chiper des fruits avec les enfants de mon école. Hihihi, pour une fille, c’était pas convenable ! Les parents, ils étaient tous deux brisés par un si grand malheur et ne nous disaient jamais rien, comme si cela apportait un peu de vie dans leur train-train quotidien. Leur fils avait été tué, enfin, c’est ce que tout le monde disait. Nous, vous comprenez, nous étions des mômes, on n’était pas sensés être dans la confidence. Mais vous savez ce que c’est !
– Et, ce fils, cet homme… vous en êtes certaine, il..., il n’est jamais revenu ? - Non. Jamais, n’est-ce pas, Auguste ? - Pour sûr, ma mie ! Mais c’est du passé tout ça et c’est bien fini. Depuis, personne n’a vécu dans cette demeure. Qui aurait voulu d’une telle bâtisse ? Les gens pensaient qu’elle portait malheur. Des promoteurs ont essayé mais ils n’ont jamais pu la vendre. Et, oui, que voulez-vous. On l’appelait la drôle de guerre, mais elle ne nous a rien apporté de drôle à nous, les gens du coin, rien de drôle, croyez-moi. Mais, vous êtes sûre que vous allez bien, vous pleurez, vous êtes toute pâle ? - Mon dieu, Auguste ! Auguste !!
Ecrit le
Mer 11 Mai 2011, 08:11
par
dolce vita,
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