Il était arrivé bien en avance, tout surpris de voir avec quelle facilité il avait traversé un Paris presque désert et avait même pu garer sa voiture à deux pas des grilles d’entrée. Il avait hésité à pénétrer dans ce parc qu’il ne connaissait pas encore : non pas par appréhension, mais il avait tant imaginé avec quel plaisir Elle le guiderait, qu’il souhaitait ne pas déflorer cette découverte pour mieux préserver la saveur de le faire en sa présence.
Il préféra donc faire un tour dans le quartier, repérant au passage un petit restaurant dont la terrasse en étage serait sans doute fort agréable dans quelques heures. Il réserva, à tout hasard, car craignait qu’un afflux de touristes vienne anéantir le projet qu’il s’était fait de l’inviter ici.
En l’attendant, il se remémora l’histoire de leur rencontre, si curieuse, si inattendue. Rien ne les faisait a priori se ressembler : lui provincial devenu parisien un peu par hasard, marié, père de famille. Pourquoi donc avoir accepté le premier rendez-vous ? D’un côté, cela ne lui ressemblait pas, il n’avait en rien, ni ne revendiquait en rien le profil d’un « coureur », bien au contraire. Avec plus de vingt ans de fidélité conjugale, il n’aurait jamais imaginé, quelques mois auparavant, une telle situation.
Et pourtant, il y trouvait un plaisir infini, un plaisir simple et sain. Car c’était d’abord l’histoire d’une très belle amitié qui les liait : ils avaient pris l’habitude de partager leurs secrets, leurs joies et peines. Il avait trouvé à la fois une écoute et un être délicat qu’il aimait à serrer contre lui. Il se plaisait à penser que c’était réciproque.
Et surtout, quelle évolution depuis leur rencontre ! Leur histoire si différente l’avait enrichi, lui avait ouvert les yeux et agrandi le cœur. Il se sentait débuter une nouvelle vie intérieure, mais qui rayonnait dans sa vie de tous les jours. A y réfléchir, il se disait que le destin avait bien fait les choses, puisque arrivé à cette période de la vie qu’il croyait une simple croisière, un souffle nouveau avait totalement ranimé son être. Et c’était justement leurs différences qui lui donnaient cette énergie nouvelle. Il en était parfaitement conscient et heureux. C’était une nouvelle sérénité qui s’était installée en lui.
Elle arriva, il put la reconnaître de loin dans sa robe d’été légère, claire, fraîche. Il se plut à croire qu’Elle avait choisi à dessein cette robe, puisqu’il avait eu l’occasion de la féliciter pour son élégance lors de leur précédent rendez-vous. Elle portait en bandoulière son grand sac, dans lequel seules les femmes ont le secret de ranger tout ce qui leur sera utile dans la journée.
Elle marchait d’un pas agile à l’ombre des platanes qui longent le parc. En la voyant approcher, il eut pourtant la curieuse sensation de quelque chose d’irréel… Mais quoi ?
Ils entrèrent dans le parc, main dans la main. Le premier choc qu’il ressentit fut ce brusque changement d’atmosphère, passée en quelques secondes du brouhaha de la rue aux cris et rires d’enfants sur les manèges, les poneys. Bien des jeunes mères de famille venaient profiter de cette belle journée avec leurs enfants, leurs poussettes. Il se dégageait une atmosphère de paix qui les fit se rapprocher un peu plus l’un de l’autre. Ils échangèrent peu de mots pendant les premières centaines de mètres, car l’un comme l’autre sentaient que la proximité de leurs corps suffisait dans un premier temps à initier une sorte de communion. Ils s’apprêtaient tous deux à savourer en gourmets les quelques heures qu’ils s’étaient réservées l’un pour l’autre…
Ils avaient commencé le tour du lac. Férue d’histoire, de cinéma aussi et surtout Parisienne jusqu’au bout des ongles, Elle lui parlait de l’histoire du Parc, des scènes de cinéma qui y furent tournées. Leur marche fut à peine troublée par les quelques travaux en cours, qui barraient certains sentiers du parc. Un banc les accueillit un moment ; il avait passé son bras sur ses épaules. Le vent d’été qui s’été levé releva un peu la robe légère et lui souffla quelques idées qui le surprirent. Mais il n’osa pas lui en parler.
Et puis, toujours ce sentiment bizarre de quelque chose d’irréel, qu’il n’arrivait pas à cerner.
Elle s’était levée, continuant leur marche. Après une visite à la cascade sous la grotte, ils gagnèrent d’autres allées. Lui était surpris des déclivités, du relief de ce parc. Elle riait de cette surprise !
« Viens, je veux profiter un peu du soleil » avait-elle glissé à son oreille, avec, toujours, son immense sourire.
Surpris, il la suivit sans protester. Elle semblait connaître ce parc comme sa poche : c’est vrai qu’enfant, Elle y jouait… Quelques pas derrière les buissons, puis une butte engazonnée à franchir, et ils se retrouvèrent seuls. La configuration du terrain était telle que personne ne pouvait les voir, hormis évidemment… quelqu’un qui aurait eu la même idée !
Elle ouvrit son sac et en tira une grande toile de coton qu’elle étendit avant de s’y asseoir en tailleur, et Elle l’invita d’un sourire… Surpris d’une telle prévoyance, il ne protesta pas pour s’allonger sur cette couche improvisée. Les odeurs des buissons, des arbres lui rappelaient la campagne où il avait passé son enfance et les bruits le la ville parvenaient, assourdis, rappelant qu’Elle avait choisi Paris. Quel mélange troublant, reflet de leur différence, et réunis pour célébrer leur rencontre...
S’abandonnant au soleil, Elle avait déjà déboutonné sa belle robe d’été, et il vit alors qu’elle ne portait, ce jour là, que ce seul vêtement… Il fut presque surpris de ne pas l’avoir remarqué avant, quand il l’avait serrée tout contre lui. Elle aimait le soleil et ne voulait pas s’en priver. Allongé près d’elle, il ferma les yeux, autant pour savourer sa présence que pour se protéger du soleil qui était maintenant devenu plus piquant.
Et toujours ce sentiment curieux de quelque chose d’irréel, qui l’obsédait depuis le début de la matinée…
Ils se parlaient à peine, leurs gestes ayant maintenant remplacé les mots. Il caressait doucement cette peau réchauffée de soleil… Elle avait commencé une exploration douce sous sa chemise… sans aucune précipitation, savourant ces instants délicieux, Il avait très discrètement dégrafé sa ceinture et son pantalon… Discrètement pour ne pas risquer de la brusquer, mais le désir qu’il avait maintenant ne pouvait plus passer inaperçu.
Il se tourna sur le côté, et ouvrit les yeux pour la contempler. Sa peau claire et lisse se gorgeait avec avidité de soleil. Les caresses douces qu’il lui avait prodiguées avaient déjà fait leur œuvre : la pointe de ses seins dressés vers le soleil, son souffle s’était fait plus court. Un peu de rose aux joues, et ce bassin qui se cambre un peu. Sans qu’il soit un expert en la matière, il lui était impossible de penser qu’elle ne partageait pas son désir. Curieusement, le fait qu’il soit dans un lieu public ne le dérangeait maintenant plus du tout. Il avait toujours cette sensation d’irréel, qui lui faisait oublier interdit.
« Viens », glissa-t-elle à son oreille. Il n’avait ni l’envie, ni la force de résister. Il sentait bien que cette amitié infaillible qu’il lui vouait était en train de prendre une tournure bien plus passionnée. Même la peur d’être maladroit, dans cette circonstance si particulière, ne l’effleurait plus. Il avait maintenant basculé sur Elle… Elle l’avait accueilli si doucement, si amoureusement dans son intimité.
Le temps s’était arrêté, rendant tout encore plus irréel. Leurs souffles s’étaient mêlés, leurs peaux brûlantes de soleil s’étaient collées, ils ne faisaient plus qu’un au fond de cette petite déclivité qui les protégeait du monde. Tout les réunissait maintenant, eux si différents. Leurs bouches unies, leur peau collée par la sueur, leurs sexes ne faisaient plus qu’un. Il n’avait jamais ressenti une pareille communion dans leur jouissance et ce sentiment nouveau lui procura bien plus que du plaisir : c’était bien là le bonheur qu’il avait enfin trouvé. Ils restèrent un long moment ainsi, savourant le côté irréel de la situation.
Soudain, il sentit nettement une main sur son épaule… Il avait toujours les yeux fermés et n’osait les ouvrir ! Qui avait pu les suivre, les rejoindre ici ? Comment allait-il expliquer cette situation ? Comment allaient-ils s’en sortir ?
Ces idées s’emmêlaient dans sa tête, quand une voix familière lui demanda :
« Chéri, ça ne va pas ? »
Il lui fallut de longues secondes pour réaliser, pour enfin oser ouvrir les yeux… Et s’apercevoir que le paysage qui l’entourait lui était familier. Il était chez lui, allongé sous le tilleul. Il se rappelait maintenant s’y être étendu pour ce qui devait être une petite sieste, mais qui se transforma en long voyage hors du temps. Le temps… Le temps… Il regarda sa montre, trois heures de l’après midi.
« Oui, ça va, j’ai dormi. Mais quel jour sommes-nous ? »
« Dimanche ! Tu es bien sur que ça va ? »
Dimanche… Mais alors, pourquoi avait-il déjà rêvé de ce rendez-vous qui était fixé au vendredi suivant ? Pourquoi des images aussi précises d’un parc qu’il n’avait encore jamais visité ? Il se plut à croire que ce fameux destin, qui les avait fait se rencontrer, n’était pas près de les abandonner en si bon chemin. Et jamais attente d’un rendez-vous ne lui fut si douce.
Ecrit le
Mar 09 Fév 2010, 22:26
par piertiteuf,
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